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Blog des Militants Communistes d'Arras

Blog de la section du Parti Communiste d'Arras. 14 avenue de l'hippodrome 62000 mail: arraspcf@gmail.com

Ma rencontre avec le vide

Ma rencontre avec le vide

Deux heures durant, à sa permanence, j’ai échangé avec ma députée socialiste, Pascale Boistard. Rarement j’ai réalisé un entretien aussi vide. Je l’ai donc oublié. Et pourtant, ai-je réfléchi, mon interview, dans sa nullité, par sa nullité, témoigne d’une maladie, collective, neurodégénérative…

« Je vais vous demander une minute de silence pour les amis décédés. Ils sont six, André, Ludovic… »
Ce samedi d’avril, à la salle municipale de Flixecourt (80), José Matos avait réuni les anciens salariés de Parisot-Siège de France, et chacun y allait de son souvenir pas franchement nostalgique : « On n’avait pas le droit de parler, pas le droit d’aller aux toilettes… C’était un climat répressionnaire… La boîte n’existe plus qu’en Roumanie… »
La députée socialiste du coin – qui est aussi la mienne – Pascale Boistard, était présente dans l’assistance. Au micro, elle assurait que « les élus ont à cœur d’être au plus près des préoccupations », que « dans la commission Goodyear elle a essayé de faire bouger les lignes », qu’« il existe aussi des fleurons industriels qui se développent ». Je ne voyais pas trop où elle voulait en venir mais bon, je trouvais sympa qu’elle soit là, aux côtés des ouvriers, à se geler les miches dans le Val-de-Nièvre.
Notre numéro « Petit bourgeois, tu sers à quoi ? », venait tout juste de paraître et dedans, je consacrais un paragraphe, sommaire, à cette députée. Alors, quand elle s’est éclipsée durant la pause café, je l’ai rattrapée en courant sur le parking :
« Madame Boistard… Madame Boistard…
– Oui ?
– Dans le dernier numéro de Fakir, on cause de vous, et comme c’est plutôt en mal, je préférais vous le donner en mains propres, pour pas me défiler…
– Et vous dites quoi, alors ?
– Bah, que vous avez un parcours quelconque… « attachée parlementaire »… une professionnelle de la politique… comme Barbara Pompili, l’autre députée… des femmes d’appareil…
– Ah mais on n’a rien à voir, j’ai un cursus complètement aty
pique », elle s’est énervée, et j’ai oublié ce qu’elle a raconté, « volonté de s’emparer de la chose publique », « trouble-fête », il ne me reste dans mon cahier que quelques bribes de notes, mais je me souviens bien, en revanche, du décor : il crachinait, on marchait entre les flaques d’eau, elle n’avait pas d’assistant ni de porteur de parapluie ni de parapluie d’ailleurs, et derrière elle, sur la colline, trônait le château des frères Saint, reliquat d’un bourg industrieux. De nous voir là, tous les deux, dans ce coin chargé de luttes, au passé, et de désespérance, au présent, ça m’inclinait à de la tendresse, presque, bizarrement, pour ma députée socialiste… alors qu’elle m’engueulait : « C’est tout à fait faux ! »
On a sorti nos agendas, et on a pris rendez-vous à sa permanence.


J’ai bossé un peu, j’ai épluché ses votes à l’Assemblée nationale : « oui » au traité Sarkozy-Merkel, « oui » à la loi de non séparation bancaire, « oui » à l’allongement de la durée de cotisation pour les retraites, « oui » au Pacte de responsabilité, et un « non », à l’Ani, l’Accord national interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurité de l’emploi.
Le jour venu, devant ma députée, dictaphone posé sur son bureau, j’ai donc passé en revue tous ces dossiers fâcheux, mais je suis tombé, non pas sur un mur (qu’il est agréable d’avoir un mur face à soi ! de s’y heurter ! le choc des convictions !), non, je suis plutôt tombé dans un marécage, comme un genre de mélasse, du fromage blanc, rien qui accrochait : « Pour le TSCG, il y avait eu une discussion sur des éléments qui faisaient que y avait un pacte de croissance avec, mais ce que j’ai dit c’est que bon il était signé mais bon y avait une exigence, je me souviens très bien, c’était la confiance que je donnais au président de la République, mais c’était une confiance ‘exigeante’. Voilà, c’est-à-dire voilà. Alors on peut dire que c’est de l’habillage, mais chez moi c’est pas de l’habillage. Moi j’ai beaucoup hésité jusqu’au dernier moment, mais si on se mettait en dehors de ce pacte, on se mettait en dehors du pacte de croissance », etc.
C’était creux, poisseux.
Sans ligne de conduite.
Sans idées claires, tout embrouillé.
Sans cohérence dans le discours, avec les actes, entre les actes.
Impossible de s’y confronter.
Après deux heures d’échanges, deux heures quand même, j’étais troublé : rarement j’avais réalisé un entretien aussi vide, a priori inintéressant. J’ai donc remisé ce fichier audio dans un coin de mon ordi. Et pourtant, cet entretien, j’y ai songé souvent, je l’ai évoqué dans des débats, ou dans des conversations : il m’avait marqué. Car ce vide, c’était celui, non pas d’une individu, mais de cent, deux cents députés socialistes comme elle, de tout un parti sans ligne de conduite, sans cohérence, d’un paquet de militants, embrouillés.
Mon interview, dans sa nullité, par sa nullité, témoignait d’une maladie, collective, neurodégénérative. Dont j’observais les symptômes.

 


Espoir zéro

Comment être de gauche sans porter un espoir ? Sans volonté de transformation ? Cette aspiration n’a pas déserté que le sommet de l’Etat, mais le député lambda également, saisi par le défaitisme, par l’abdication avant même la bataille.

Fakir : Si c’est pour retirer 50 milliards aux services publics, et de l’autre donner 41 milliards aux entreprises, pourquoi on n’a pas un gouvernement de droite pour faire ça ?
Pascale Boistard : Parce que, si c’était la droite, ça serait 130 milliards et un million de fonctionnaires en moins. Copé l’a dit à la tribune, pendant le débat parlementaire : « C’est rien du tout votre truc. Nous, on a la solution, c’est 130 milliards d’économies, un million de fonctionnaires en moins. »
Fakir : C’est comme si la logique était acceptée, et qu’il n’y avait qu’une variation de degrés…
P.B. : Ah mais la logique, qu’on soit surendettés et qu’on passe notre temps à rembourser que des intérêts de la dette et qui nous plombent, bien sûr…
Fakir : D’abord, quels sont les causes réelles de cette dette ? La politique monétaire, qui refuse l’inflation, et les baisses d’impôts. Surtout, vous nous dites : « On revient sur des acquis aussi, mais un peu moins vite, un peu moins fort que les autres… » Bonjour l’espoir !
P.B. : Mais on n’est pas dans une période ordinaire. On est dans une période où la question se pose, de tout bazarder des acquis sociaux. Regardez partout ailleurs, regardez en Italie, moi j’ai de la famille là-bas : y a plus de droit du travail, y a eu la diminution des traitements des fonctionnaires, des pensions de retraite, quasi-plus de santé publique… Donc nous, on est dans cette période de préservation. Sans la croissance…
Fakir : Mais il faudrait combien de points de croissance pour des conquêtes sociales, pour des progrès environnementaux ?
P.B. : Ah non, là on n’en est pas à des conquêtes sociales. On en est à créer de l’emploi.
Fakir : Mais c’est dans ces moments-là, de remise en cause, que s’obtiennent les conquêtes sociales. Le Front populaire, 1936, c’est quoi ? C’est la réponse à la crise de 29, on prend des mesures sociales justement pour sortir du marasme…
P.B. : C’est pas ça qui a fait gagner la gauche.
Fakir : Mais ça reste comme une grande date…

Manifestement, « conquêtes sociales », « justice fiscale », « progrès environnemental » n’appartiennent pas au vocabulaire présent. Il s’agit juste d’éviter le pire, ou de l’atténuer.
Ça motive.

Une langue morte

Le discours politico-économique contemporain n’est pas athée. Il est habité par une divinité, « la croissance », qui nous adresse des signes, pour qui l’on consent des sacrifices, dont on prie pour le retour.

Pascale Boistard : C’est retrouver la croissance qu’on essaie de faire, de retrouver une dynamique économique pour trouver la croissance. Et le mécanisme aujourd’hui, c’est que si vous avez de la croissance à un certain niveau vous pouvez recréer de l’emploi.
Fakir : Je me souviens de la campagne de Ségolène Royal, en 2007, alors qu’on avait 2,1 % de croissance à l’époque, elle en réclamait encore plus, elle prononçait ce mot soixante-dix fois, elle l’invoquait…
P.B. : Je n’étais pas d’accord avec la campagne de Royal.
Fakir : Mais c’est pas le problème de Royal. Tous, Hollande, Valls, Sarkozy, Fillon, vous, tous pensent pareil. Depuis que je suis dans le ventre de ma mère, avec Barre, Balladur, Bérégovoy, j’entends causer de la crise et de son remède, la croissance.
P.B. : Moi aussi !
Fakir : Alors, comment parler encore de la croissance ? C’est une langue morte.
Long silence.

P.B. : Aujourd’hui, les mécanismes sont faits de telle façon que c’est la croissance qui vous apporte le développement économique de l’entreprise parce qu’elle est issue du développement économique de l’entreprise et donc, l’entreprise elle n’est pas philanthrope, l’entreprise quand elle a des nouveaux marchés et un surcroît de production, elle recrute, et c’est ça qui aussi apporte la croissance.
Fakir : Et donc ?
P.B. : Eh ben donc on sait bien qu’à un certain niveau de croissance, ça crée de l’emploi.

Comment mieux démontrer que cette langue est bien morte ? Le propos tourne en rond, croissance croissance croissance, avec pour but ultime l’« emploi », sans rien sur le contenu de cet emploi, sur ses conditions de production, sur le temps de travail, sur la marchandise ou le service produits, sur leur utilité, etc. Immense renoncement.

Le chemin

Admettons, encore. Admettons qu’il faille de la croissance. Comment y parvenir ? La réponse fuse : en donnant de l’argent au patronat.

Fakir : Avec le Pacte de responsabilité, que vous votez…
Pascale Boistard : Oui.
Fakir : … d’un côté, soi-disant on épargne cinquante milliards, mais de l’autre, on redonne quarante milliards aux entreprises.
P.B. : C’est pas ‘redonner’, c’est ‘réinjecter’. C’est leur permettre d’investir dans l’outil, ou alors de se développer, c’est tout ça. C’est pas juste ‘on prend le fric’…
Fakir : Mais coïncidence, cette année, le CAC 40 a justement reversé 41 milliards en dividendes, l’équivalent des aides du gouvernement… A-t-on cherché à capter une partie de ces 41 milliards ?
P.B. :
Fakir :
S’attaquer à la finance, pourtant, ç’aurait pu être ça.
P.B. : Mais moi, ça ne me dérange pas qu’il y ait des dividendes de versés s’ils continuent à développer l’entreprise, à pas licencier, vous voyez, que chacun y retrouve son compte. S’ils investissent dans l’entreprise, s’ils embauchent…
Fakir : Mais vous croyez que quand les gens sont allés voter François Hollande, ou pour vous en 2012, c’était en se disant : ‘Chouette, il va y avoir un allègement de 41 milliards sur les entreprises’ ?
P.B. : Je crois que les gens ils veulent du boulot. Je suis pas sûre qu’ils se disent : ‘Ce sont des mesures super gauches’, on est d’accord. Mais si au final ça réussit, qu’y a du boulot…
Fakir : Mais c’est certain que ça ne va pas fonctionner ! Depuis les années 80, on met en place les mêmes mesures, d’allègements des cotisations et ainsi de suite. Ça n’a jamais marché. Pourquoi ça marcherait aujourd’hui ?
P.B. : J’espère bien que ça va redémarrer, qu’ils vont embaucher. Il faut que la société fonctionne mieux, et pour qu’elle fonctionne mieux, il faut créer de l’emploi. Y a pas cinquante solutions.

« Qu’on se le dise : le retour au plein-emploi passe par la croissance. La croissance passe par l’investissement. Et l’investissement passe par la compétitivité et la confiance des entreprises et des investisseurs. » Cette équation, c’est Pierre Gattaz qui la pose, dans son livre Français, bougeons-nous. Mais rien ne le différencie, ici, de la thèse soutenue par ma députée socialiste…

 

Le marais

Comment expliquer une pareille nullité ? Une impensée aussi commune ? Un recours permanent aux clichés ? On n’accusera pas Pascale Boistard – titulaire d’un DEA de Sciences-Politiques, même si le diplôme ne dit rien – d’être « bête ». Malheureusement, le cas est plus grave, non pas personnel mais structurel : c’est que la bêtise est politiquement, collectivement, recommandée.

Fakir : Le « marais », dans la Révolution française, désignait ces députés qui fluctuaient au fil des événements, dont on ne savait pas trop ce qu’ils pensaient, voulaient, et qui faisaient tout de même pencher la balance, pour la Montagne, contre Robespierre… Là, devant moi, vous tenez un discours un peu critique, mais vous votez la confiance à Valls, le TSCG, la réforme des retraites, et je ne comprends pas ce que vous pensez. Donc moi, excusez-moi, mais je vous situe dans le marais aujourd’hui.
Pascale Boistard : Tout à fait. Et le marais, pour l’instant, il reste dans une, comment dire, il reste dans une « dynamique de groupe » entre guillemets, mais la discipline elle s’est fendillée sur beaucoup de textes. C’est un effort politique qui est demandé aux parlementaires… On peut être courageux, on peut soutenir beaucoup de choses…

Cette langue usée jusqu’à la corde, périmée, morte, « il faut de la croissance », « ça va redémarrer », ces raisonnements avariés, « c’est leur permettre d’investir dans l’outil », voire « être courageux » contre le peuple, imaginez que Pascale Boistard et ses collègues n’y croient plus, ne fassent plus semblant d’y croire. Alors, aussitôt, elle s’isolerait de « la dynamique de groupe », désobéirait à la « discipline », et subirait les sanctions en série, de son Premier secrétaire, du Premier ministre, du Président de la République, jusqu’à se voir retirer sa circonscription.
La bêtise est à l’inverse récompensée : Pascale Boistard est entrée dans le gouvernement Valls 2 comme « secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes ».

François Ruffin.

Chiche !
En juin, à une tribune, aux rencontres de Gérard Filoche, j’ai évoqué cet entretien avec ma députée, comme ça, en passant.
Et cet automne, un adhérent du Parti socialiste de la Somme m’a raconté que, pendant une réunion de la Fédération, elle avait piqué une colère contre moi, et contre les militants qui avaient assisté à ma prise de parole sans protester. Le même m’a prévenu : « Si tu fais un article, elle va te poursuivre. Tout comme elle a porté plainte contre le Téléscope » - un site amiénois qui avait révélé « la casse sociale » des salariés de sa permanence.
Nous menacer, c’était nous pousser au crime…

 

 

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