20 Décembre 2010
L’héritière du FN n’est pas plus « light » que son
père. Jouant sur la crise et la désespérance sociale qui en découle, elle peine à concrétiser un engagement de façade.
Illustration dans le Nord-Pas-de-Calais, où elle est
élue.
«Mon père a créé le parti, il a débroussaillé. Mon objectif, c’est d’arriver au pouvoir. » Espérant forcer
son destin, Marine Le Pen a fait de la « désespérance sociale » le fonds de commerce d’un « nouveau » Front national. Mais son repositionnement politique ne résiste pas à l’examen des faits.
Dans le Nord-Pas-de-Calais, nouvelle région « laboratoire » du FN, non seulement elle et ses amis démentent cette préoccupation « sociale » affichée, mais ils reprennent leurs fondamentaux
antisociaux.
« Consommer français »
Marine Le Pen fait mine de soutenir les salariés, dénonçant même un système « ultralibéral » sur le site Internet d’extrême
droite Nationspresse.info. Le 27 mai 2010, elle interpellait Arc International, cristallerie qui remettait en cause l’avenir de son site d’Arques, dans le Pas-de-Calais : « Les travailleurs
français sont sacrifiés sur l’autel du libéralisme marchand », écrivait-elle, prétendant « défendre les acquis sociaux des travailleurs ». Une position que le groupe FN-Rassemblement pour
le Nord-Pas-de-Calais résume ainsi : « Travailler et consommer français, relocaliser l’économie. » Mais, un mois plus tôt, le même groupe,que Marine Le Pen dirige, déposait une motion
protégeant, à l’inverse, le capital international. Alors que Total envisageait de fermer la Raffinerie des Flandres, le FN proposait « l’exonération temporaire de sa taxe professionnelle » afin
qu’il investisse les 13 millions d’euros ainsi dégagés. Il n’y a pas de quoi rire : même le Medef trouve le programme économique du FN « démagogique »…
Alors qu’elle se veut défenseur des « mères de famille, des chômeurs de 45 ans et précaires », qu’elle estimait,
en octobre dernier sur LCP, « attaqués » par la politique du gouvernement, Marine Le Pen ne fait rien localement pour soulager leur sort. Ainsi s’oppose-t-elle systématiquement, avec
son groupe, lors de l’examen du budget de la région, aux subventions accordées aux associations humanitaires, Secours populaire en tête (la dernière fois, pour l’accueil d’enfants de Tchernobyl
– NDLR) – qui permet pourtant chaque année d’envoyer en vacances des enfants de familles pauvres – ou encore à des associations d’utilité publique comme AC ! (Agir contre le chômage). Motif
invoqué ? Le même que pour justifier le refus de subventionner la plupart des organismes culturels : des associations « militantes », voire « gauchistes » ou
« pro-immigrés ». Quant à la coopération internationale, accusée de « financer l’immigration », mieux vaut ne pas en parler…
Une démarche clientéliste
Mi-novembre, lors d’une commission permanente du conseil régional, Marine Le Pen, invoquant pêle-mêle religion, nourriture
halal et discrimination religieuse, a même refusé le soutien de la région à une entreprise de produits halal située dans le canton d’Hénin-Carvin. Elle a « utilisé les origines maghrébines
du propriétaire » pour affirmer que « les recrutements au sein de cette entreprise se faisaient selon des critères religieux, en engendrant une discrimination à l’embauche »,
dénoncera dans un communiqué le conseiller régional communiste Bertrand Péricaud. Pour Marine Le Pen, peu importe que les recrutements se fassent légalement, via Pôle emploi, et que 29 emplois
soient concernés. Un comble, pour qui veut « donner la priorité à nos petites PME-PMI », comme elle l’a déclaré sur LCP en octobre 2010.
Cette obstruction systématique à la région n’empêche pas le FN de tirer profit de la politique de la gauche, dans une
démarche clientéliste que lui-même reproche à ses adversaires. Illustration à Hénin-Beaumont, dont Marine Le Pen est conseillère municipale et qu’elle a presque failli conquérir en 2009, avec
48 % des voix. David Noël, secrétaire de la section PCF d’Hénin-Beaumont, rapporte le dernier « coup » de l’extrême droite locale. Lors de la dernière séance du conseil municipal, mercredi
soir, « le FN a annoncé qu’il allait “offrir” 25 kits sportifs à des associations héninoises ». Sans dire qu’ils sont « mis à la disposition » des élus du conseil régional, ceux du FN
ont décidé de concentrer leurs « cadeaux » sur cette terre d’élection stratégique. « Une manœuvre politicienne qui a obligé le nouveau maire, Eugène Binaisse, à dire merci, alors que c’est
une opération de la région ! »
Au plan national comme au plan local, l’héritière surfe sur la crise, ce qui lui vaut de bonnes opinions d’un tiers de
l’électorat de droite. Notamment des électeurs populaires de Nicolas Sarkozy qui, bernés par le « travailler plus pour gagner plus » du « président du pouvoir d’achat », pourraient,
espère-t-elle, « exprimer cette colère aux cantonales ».
Grégory Marin L'Humanité 18 décembre
2010