25 Février 2011
Editorial de Liberté 62
par David NOËL
C’est un petit livre écrit en 1549 par un jeune homme de 18 ans originaire de Sarlat, Etienne de La Boétie. Le «
Discours de la Servitude Volontaire » - rebaptisé « Contre’Un » -, publié pour la première fois en 1576 par des protestants en pleines guerres de religion pour dénoncer la tyrannie du
pouvoir royal, est un livre intemporel.
La Boétie se demande comment il se peut faire que « tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations
endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’a pouvoir de leur nuire sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun,
sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que le contredire ».
Puisant ses exemples dans l’Antiquité grecque et romaine, La Boétie nous parle en fait de son temps, mais il nous parle
aussi, à travers les siècles, de notre temps.
Pourquoi les tyrans se maintiennent-ils au pouvoir ? Un homme seul peut, à la limite, faire peur à dix hommes, mais
certainement pas à cent, à mille, ou à dix millions d’hommes ! Alors, pourquoi les tyrans se maintiennent-ils au pouvoir ?
La Boétie explique l’existence de la tyrannie par plusieurs facteurs : l’habitude de vivre sous la servitude empêche les
citoyens de se révolter : « on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu ».
Les divertissements et la religion constituent deux moyens terriblement efficaces de maintenir un peuple asservi : «Les
théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres telles drogueries, c’étaient aux peuples anciens les appâts de la
servitude, le prix de leur liberté, les outils de la tyrannie. »
Surtout, explique La Boétie, une partie de la population se met au service de la tyrannie par cupidité et désir
d'honneurs. Le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie est de rendre des gens « complices » des « cruautés » du tyran, de les asservir en leur
donnant l'occasion de dominer d'autres à leur tour. Certains hommes flattent leur maître espérant ses faveurs, sans voir que la disgrâce les guette nécessairement, devenus complices du
pouvoir.
La tyrannie s’assimile ainsi à une pyramide fondée sur le contrôle social « 5 ou 6 ont eu l’oreille du tyran […].
Ces 6 ont 600 qui profitent sous eux, et qui font de leurs 600 ce que les 6 font au tyran […] ces 600 en maintiennent sous eux 6000… ». Une majorité a alors intérêt à la
tyrannie.
Comment se débarrasser de la tyrannie ? Pour La Boétie, « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à
genoux. ». C’est la liberté qui est naturelle. Pour se débarrasser de la tyrannie, il suffit de le vouloir : « Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez
libres. »
Tunisie, Egypte, Libye, Yémen, Bahreïn, Algérie… Les mots de La Boétie ont 450 ans, mais c’est comme s’ils avaient été
écrits hier. Pamphlet contre tous les tyrans et pour la liberté, le « Discours de la Servitude Volontaire » est intemporel, comme la liberté. Les peuples du monde arabe sont en train de
nous le prouver. Là-bas comme ici, c’est la liberté qui est naturelle et les tyrans avec leurs complices et leur appareils répressifs ne peuvent rien contre un peuple debout.
En France, la situation n’est évidemment pas comparable, mais le capitalisme constitue une tyrannie tout aussi
insupportable. Une tyrannie plus douce, qui utilise les mêmes artifices : consumérisme, religion... Et comme toutes les tyrannies, le capitalisme a aussi ses complices qui ont intérêt au
maintien du système et en retirent prébendes et avantages.
Mais comme toutes les tyrannies, le capitalisme est un colosse aux pieds d’argiles qui n’est fort que de nos
abandons.
Renverser le capitalisme ? Il suffit de le vouloir ! En Libye comme ici, le « Discours de la Servitude Volontaire » est
plus qu’un pamphlet, c’est un manuel pour garder espoir, un manuel révolutionnaire.