Si l’on s’en tient aux déclarations de François Fillon, on peine à comprendre, s’il était le vainqueur de l’élection présidentielle, quelle réforme il engagerait pour la Sécurité sociale. Dans un premier temps, juste avant le second tour des primaires organisées par Les Républicains, il a tenu des propos radicaux, suggérant qu’il pourrait engager une privatisation du système le plus emblématique du modèle social français. Puis dès le lendemain du second tour, il a tenu des propos plus modérés, laissant comprendre que pour les plus modestes, cela ne changerait rien à leur couverture sociale et que la réforme ne figurerait pas dans les priorités qu’il comptait mettre en œuvre, sitôt installé à l’Élysée.

Dans cet embrouillamini de propos en apparence contradictoires, il n’est pourtant pas difficile de se repérer, si l’on a en mémoire les réflexions qui se mènent depuis plusieurs années dans certains cénacles de la droite et dans les milieux patronaux. C’est bel et bien une privatisation de la Sécurité sociale qui est en réflexion. Et il n’est pas très difficile de l’établir, tant il existe d’indices nombreux d’un « brainstorming » autour de ce projet, conduit par François Fillon et certains de ces milieux patronaux qui sont proches de lui. C’est comme une longue marche vers la privatisation, engagée depuis longtemps, qui serait en passe de bientôt aboutir…

Reprenons d’abord le fil des déclarations récentes de François Fillon. Lors du débat sur TF1 et France 2, le jeudi 24 novembre, juste avant le second tour des primaires, il a clairement présenté ce que serait son projet. Et parmi de nombreuses autres propositions (franchise universelle, etc.), il a ainsi annoncé ce que serait le cœur de sa réforme : elle s’appliquerait « en focalisant l'assurance-maladie notamment sur les affections graves ou de longue durée : le panier de soins solidaire ; et l'assurance complémentaire sur le reste : le panier de soins individuel » (lire Pour «casser la baraque», le projet-gourdin de Fillon).

Passablement obscures pour le commun des mortels, ces formulations étaient décryptées le lendemain par Les Échos, dans un article au sein duquel la parole était aussi donnée à Dominique Stoppa-Lyonnet, porte-parole santé de François Fillon, et professeur de génétique à l'université Paris-Descartes. Explication du quotidien : « Il s'agit d'un thème récurrent à droite : à la Sécurité sociale de payer le risque “lourd”, tandis que le marché peut se débrouiller avec le risque “léger”. Mais personne n'a jamais réussi à définir chacune de ces catégories – à part les affections de longue durée, par exemple le diabète, le cancer, l'insuffisance rénale sévère. Dominique Stoppa-Lyonnet évoque parmi les risques légers “le désordre digestif temporaire, la grippe – encore qu'une grippe peut être dramatique”, et explique que “tout cela sera à définir en concertation”. “La solidarité ne peut pas tout prendre en charge. L'optique, le dentaire, les audioprothèses n'ont pas à être financés par l'assurance maladie de base”. »

Et Les Échos ajoutaient : « Pour les complémentaires santé, la perspective d'un élargissement de leur marché est une bonne nouvelle. D'autant plus que François Fillon n'est pas favorable à l'encadrement actuel des tarifs et de l'offre des contrats dits responsables, selon Dominique Stoppa-Lyonnet. Mais alors, comment éviter les abus tarifaires, les couvertures indigentes ? D'une part, le candidat entend mettre en place “un régime spécial de couverture accrue” pour les personnes les moins favorisées, peut-être sur le modèle de l'actuelle couverture maladie universelle. D'autre part, il créerait une “Agence de contrôle et de régulation de l'assurance-santé privée”, bénéficiant d'une délégation de service public, pour définir un contrat-type “parfaitement lisible pour les assurances privées avec une variable : le prix”. “Nous ne donnerons pas un blanc-seing aux assureurs complémentaires”, promet la porte-parole. »

En clair, le quotidien mettait bien en évidence la gravité du projet : il s’agit bel et bien d’une privatisation, au moins partielle, de l’assurance maladie puisqu’une partie des risques, dits les plus « légers », serait  couverte par les mutuelles ou les assureurs privés, les maladies les plus graves et les plus coûteuses restant à la charge d’un système solidaire.

Une privatisation d’autant plus préoccupante que la solidarité ne jouerait donc plus pour des besoins de santé pourtant majeurs comme l’optique ou les soins dentaires ; et que les tarifs médicaux cesseraient d’être encadrés. En somme, la couverture sociale serait moindre et sans doute plus coûteuse : un danger immense pour les assurés sociaux les plus modestes, et une aubaine pour les assureurs privés.

Et puis le lundi suivant, au lendemain de sa victoire au second tour des primaires, François Fillon, qui était invité du « 20 heures » de France 2, a semblé sinon faire machine arrière en tout cas vouloir surtout rassurer ceux que son projet aurait pu alarmer. Il a ainsi promis qu’il voulait « que les personnes les plus modestes et âgées » soient « mieux remboursées qu'aujourd'hui », que ce soit par le biais de l'assurance maladie ou des mutuelles. « Je veux tout de suite arrêter cette polémique sur “moins bien rembourser”, moi ce que je veux, c'est sauver la Sécurité sociale », a-t-il assuré.

Niant qu’il voulait privatiser l’assurance maladie, il a annoncé qu’il allait « travailler avec les professions de santé, avec les responsables de l'assurance maladie, avec tous ceux qui ont un rôle dans ce domaine, pour travailler à un projet qui doit être un projet permettant l'équilibre de la Sécurité sociale mais améliore la couverture des soins en particulier pour les plus modestes. »

Il ne faut pourtant pas être dupe de ces déclarations. C’est bel et bien une privatisation à laquelle pense François Fillon. Et pas une privatisation partielle, comme le suggèrent la plupart des décryptages parus dans la presse, dont celui des Échos. Non ! Une privatisation totale, ouvrant l’immense marché de l’assurance maladie aux géants de l’assurance privée, qui en rêvent depuis des lustres.

« Défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Pour comprendre dans quelle filiation intellectuelle s’inscrit François Fillon, il faut se souvenir des nombreux plaidoyers qui ont été entendus ces dernières années, en faveur d’une privatisation de la Sécurité sociale.

Sans grande surprise, c’est l’un des géants de l’assurance privée, Axa, qui depuis très longtemps est aux avant-postes du combat contre le système solidaire de l’assurance maladie. À preuve, c’est son fondateur, Claude Bébéar, qui a été aussi longtemps l’un des parrains du capitalisme français, qui a conduit la première charge à la fin des années 1990, faisant valoir que le moment était venu d’avancer vers des « Sécurités sociales privées ». Une formule qui à l’époque avait fait grand bruit.

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